b. Positionnement par rapport à l’état de l’art
Occupant une place singulière dans les musées, les collections d’ethnographie documentent l’histoire et
la vie sociale de communautés dites «
sources » (Peers & Brown 2003, Golding & Modest 2013) ainsi que leurs rapports aux (ex)puissances coloniales. Ce patrimoine dit « sensible » dans le paysage muséal nécessite une prise en charge réflexive (Harrison & Hughes 2010) sous-tendue par des enjeux éthiques et politiques. Autant héritières du colonialisme que témoins actifs de l’hégémonie des discours et des dispositifs occidentaux développées à leur égard, elles connaissent depuis plusieurs années, à l’instar des critiques adressées à la science occidentale (Clifford 1986, 2013, Sousa Santos 2016), des controverses, revendications et requalifications cristallisant une critique de portée plus générale adressée aux musées.
Ces derniers tâchent d’y répondre de diverses manières en s’efforçant de faire dialoguer différents détenteurs de savoirs et de savoir-faire pour multiplier les voix et les points de vue autour des biens conservés. Ayant récemment proposé une nouvelle définition du musée (2022) soutenue par la création d’un nouveau comité international dédié à la muséologie sociale (SOMUS), l’ICOM encourage les partenariats internationaux en faveur de cette pluralisation des discours et de nouvelles pratiques autour de la circulation des objets et de la diffusion des savoirs.
En résulte la mise en œuvre de pratiques collaboratives décoloniales (Clifford 1997, Brulon Soares 2018, Soulier 2013) qui s’expriment, notamment en France, au travers d’expositions et d’ateliers de documentation participative (Muséum de Toulouse, Muséum de Rouen, Musée de Boulogne-sur-Mer,
Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Musée des Confluences, Musée d’ Angoulême, etc.). Le débat sur les restitutions, compris dans le sens de rapatrier (Sarr & Savoy 2018, Bories et al. 2022), a participé au développement des recherches sur les provenances. Il souligne avant tout un devoir d’accessibilité et de transparence (Aubertin & Nivart 2017) à l’image de cartographies de collections (Monde en musée, INHA) et d’inventaires de patrimoines dispersés (IPKD, Manava, IndiGen, etc.) qui aident à long terme à la revitalisation et à la réappropriation culturelles au sein des sociétés dépositaires. Des modalités d’accessibilité doivent être définies, comme cela a été démontré suite au financement du ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI) grâce auquel le Muséum a obtenu en 2022 l'acquisition du module de mise en ligne OpacWeb pour Micromusée : le recours au dessin plutôt qu’à la photographie a été une manière, définie en concertation avec les représentants des communautés d’origine, pour déverrouiller une situation de blocage.
La dimension juridique de ces questions, pourtant cruciale, est souvent le parent pauvre de la recherche en sciences humaines et sociales malgré le besoin d’application dans le champ muséal (Mattatia 2022). Des avancées ont été faites autour de l’exploitation numérique équitable de ces collections (Zoannos, Chourdaki & Assimakopoulos 2023) ou des protocoles numériques capables de stocker, d’authentifier et de sécuriser chaque forme d’expression du patrimoine culturel immatériel (Lvping 2021 ; Stublić, Bilogrivić & Zlodi 2023). La présence de membres les intégrant au sein de la recherche française (Collot 2020 ; Bories & Gout 2023) dans le consortium de MILP-PAT souhaite faire progresser les connaissances des dynamiques patrimoniales de mises en ligne en restituant leurs enjeux proprement juridiques.
Celles acquises sur les aspects (géo)politiques et éthiques (Phillips 2016, Van Beurden 2017, Cousin et al. 2023) sont connus de plusieurs membres du consortium qui y ont contribué (De Largy Healy et al. 2022, De Largy Healy 2019, Guiot & Mélandri 2022, Guiot 2022, Boyer-Rossol & Piccioni 2023, Bonvin et al 2021, Bonvin, Dufau, Vila 2024, Delaître & de Robert 2019, Adell & all 2015, Adell & Pourcher 2011). MIL-PAT les interroge à partir du Muséum de Toulouse et des méthodologies participatives qui y furent en œuvre : l’enquête-collecte menée en partenariat avec l’association Jabiru Prod, le centre EREA (CNRS/LESC) et les six communautés amérindiennes (Iny-Karajà, Yawalapiti, Trumai, Apyawa-Tapirapé, Asurini et Mebengôkre-Kayapó) dans le Brésil central (Bonvin & Petesch 2024, Delaître 2024) ou les participations aux projets de recherches « COLAM - Collections des autres et mémoires de rencontres » (2018 Sorbonne Université) et « COLL-AB - Collaborations autour des collections d’ Abomey et du Bénin (2023 Labex SMS).
Le Muséum prête de surcroît une attention spécifique à une dimension peu prise en charge par les sciences humaines et sociales : l’éditorialisation et valorisation numériques des patrimoines (Severo & Delannay 2024, Sauret & Severo 2023, Capurro & Severo 2023, Severo 2021, Severo & Cachat 2017). Les avancées escomptées dans ce domaine suivent les réflexions sur les modalités d’éditorialisation (Beltrame 2012, Bohet & Pringuet 2022), des plateformes participatives (Barbe & Severo 2021) et de protection des données (Largy Healy 2024). Dans une perspective large d’histoire et d’anthropologie des pratiques intellectuelles et des traditions de savoir (Adell 2022 et 2011b ; Jacob 2007), MIL-PAT interroge ce que, à l'ère du numérique, les techniques et technologies d’édition et de protection d’une pluralité d’objets et de savoirs font aux formes et natures de leur diffusion, de leur retour, voire de leur restitution (Camargo et al. 2020, Vapnarsky 2020).